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dimanche 9 novembre 2014

interview de P-Y Maillard sur la libéralisation de l'énergie et les intérêts liés

Article paru sur le site de l'AGEFI

«La politique énergétique ressemble à une vaste fumisterie en Suisse» 

LUNDI, 10.11.2014 

Pierre-Yves Maillard. Le président du Conseil d’Etat vaudois veut s’engager contre l’ouverture complète du marché de l’électricité.






Celui qui se voit généralement attribuer le mérite d’avoir mobilisé la gauche et fait échouer en 2002 l’ouverture du marché de l’électricité en vote populaire (référendum), s’annonce de nouveau sur les rangs pour combattre le projet d’Arrêté fédéral sur la deuxième étape de l’ouverture du marché de l’électricité (actuellement en consultation). 
Pour Pierre-Yves Maillard, socialiste et président du Conseil d’Etat vaudois, l’énergie est un domaine national hautement stratégique portant principalement sur les infrastructures. L’électricité ne doit pas faire l’objet d’une libéralisation destinée à baisser les prix ou à servir de monnaie d’échange dans les relations avec l’Union Européenne. Cette lourde erreur rendrait la Suisse plus dépendante et priverait surtout les opérateurs des moyens nécessaires pour investir dans la durée et réussir une transition énergétique considérée comme vitale et prioritaire.  
Le gouvernement poursuit l’ouverture du marché de l’électricité qui avait été rejetée en vote populaire il y a douze ans. Qu’est-ce que cela vous inspire?
Le débat est toujours aussi irrationnel, avec des discours de croyants. Ce n’est pas juste du fanatisme, il y a évidemment de gros intérêts en jeu, mais le discours qui les couvre sonne toujours plus creux. Ils continuent de dire qu’il est nécessaire d’aligner le marché sur les grandes puissances énergétiques d’Europe pour que les consommateurs puissent bénéficier de la liberté de choisir leur fournisseur. En revanche, ils n’osent plus guère promettre des prix plus bas. Or cette libéralisation est une fiction. Un changement complètement disproportionné et funeste pour les investissements nécessaires en Suisse par rapport aux avantages escomptés. Le projet en consultation sert une série d’arguments idéologiques qui ne sont jamais véritablement confrontés aux faits.
Vous pensez qu’une prise de conscience est possible?
Oui. Les infrastructures énergétiques sont l’un des seuls leviers que la Suisse a en mains dans son rapport de force avec les autres Etats. L’Europe aura toujours besoin d’énergie de régulation provenant des centrales suisses de pompage-turbinage, et le positionnement de notre réseau de transports est stratégique. Dans le monde d’aujourd’hui, maîtriser l’énergie est au moins aussi important que maîtriser des armées. Regardez ce qui se passe en Europe avec la «libéralisation» du marché du gaz: notre continent est devenu l’otage de la Russie de M. Poutine qui, lui, poursuit une stratégie résolument nationale. Voilà la dimension intellectuelle et politique du débat sur l’électricité. Face aux besoins en infrastructures, dans le cadre de la transition énergétique en particulier, qui sont les investisseurs les plus actifs ? Les Etats contrôlant leurs ressources énergétiques, qui disposent de surcroît de puissants fonds souverains. La Suisse a un secteur de l’électricité largement contrôlé par les collectivités publiques. Elle a tout pour elle, mais semble vouloir se trouver du côté des Etats qui s’affaiblissent volontairement.
La Suisse veut participer au marché européen de l’électricité. C’est elle qui est demandeuse d’un accord dans ce domaine. La Suisse et son économie.
Les milieux économiques sont prêts à renoncer à des pans entiers d’autonomie énergétique pour obtenir d’autres avantages de la part de l’Europe, dans d’autres domaines. C’est très dangereux à long terme. Sachant surtout que de nombreux opérateurs européens prendraient volontiers le contrôle de la position et des ressources de la Suisse en matière d’électricité. Face à cette situation, la politique énergétique de la Suisse ressemble à une vaste fumisterie. Je pèse mes mots. Les normes comptables IFRS déjà adoptées imposent de caler la valeur des installations sur les valeurs du marché. Ce qui a pour conséquence qu’un groupe comme Alpiq doit vendre sa participation dans Swissgrid, les bijoux de famille, simplement pour sauver son bilan. Si l’électricité ne vaut plus rien en Suisse parce qu’elle ne vaut plus rien sur le marché européen, les barrages ne valent plus rien non plus, ni les éoliennes. Qui va investir dans des infrastructures de production et de transport qui ne valent plus rien?
La libéralisation du marché est pourtant bien engagée. Il s’agit simplement de l’achever.
Aujourd’hui, au moins 60% du marché suisse fonctionne encore avec des prix régulés. Sur cette partie-là, les barrages suisses peuvent compter sur des prix stables. Comme leur valeur comptable dépend désormais de la volatilité des prix, cela les protège encore d’un risque de dévalorisation encore plus drastique Mais imaginez les effets d’une ouverture totale! Des projets d’investissement dans l’électricité hydraulique prêts à être réalisés se trouvent déjà gelés aujourd’hui, parce que leur valeur serait abaissée à peine mis en service, compte tenu des prix bas du marché actuel. C’est quand même un comble, alors qu’il faut valoriser beaucoup plus cette source d’énergie renouvelable. Comment un canton comme le Valais, avec autant d’installations hydroélectriques, pourra-t-il tolérer cela? C’était pourtant le sens premier des monopoles: donner une sécurité aux investisseurs dans des projets importants et de long terme.
Oui, mais avec des prix plus élevés pour les entreprises et les privés. Une libéralisation ne serait-elle pas dans l’intérêt des clients, du public?
Le Conseil fédéral n’ose même plus promettre des baisses de prix pour les privés, comme en 2002. Et réduire les coûts de petites entreprises utilisant beaucoup d’énergie pourrait se faire de manière bien plus pragmatique que par le biais d’une ouverture totale. Par exemple en appliquant des tarifs dégressifs en échange de mesures d’efficacité énergétique. Du côté des utilisateurs importants, qui étaient d’abord pour la libéralisation, qui ont changé de fournisseur, on constate des retours. Certains préfèrent revenir en faisant appel à un fournisseur local pour bénéficier d’une meilleure sécurité d’approvisionnement. Plutôt que de dépendre d’un quota attribué quelque part en Europe, alors qu’en réalité l’électricité est toujours fournie par le réseau local. Encore une fois, le marché libre de l’électricité est une fiction, une fausse concurrence qui incite à s’approvisionner ailleurs, moins cher, et à ne pas investir sur place alors que c’est quand même l’électricité produite à proximité qui est livrée.
Qu’allez-vous faire ? Votre fonction actuelle ne vous donne pas la même liberté qu’en 2002. Vous n’êtes pas non plus en charge du dossier au Conseil d’Etat vaudois.
Dans le domaine de l’électricité comme dans d’autres, je m’exprime sur des objets qui me paraissent vitaux. Il faut que le débat ait lieu et que les cantons, qui par leurs participations connaissent la réalité des risques, disent les choses comme elles sont. J’avais en son temps proposé d’impliquer par exemple les caisses de pension dans le financement des investissements massifs nécessaires dans le réseau électrique. L’idée semble commencer à avoir un peu d’écho. Elle permettrait de régler deux problèmes cruciaux: le besoin en capitaux du secteur électrique et le besoin de champs d’investissement pour les capitaux du deuxième pilier. Mais pour que cela soit possible, il faut que ces investissements bénéficient d’une protection. 
Vous pensez que la gauche va se mobiliser?
A la fin oui, j’en suis convaincu. Même si les socialistes ont a priori de la timidité à combattre ce qui relève de l’intégration européenne. Mais sur ce sujet, l’intérêt national et nos convictions l’exigent. Gauche ou pas, il faut tout de même se rendre compte qu’il y a une politique énergétique 2050 ambitieuse, une sortie programmée du nucléaire, à laquelle j’adhère, et que l’ouverture du marché de l’électricité va dans le sens opposé, qui consiste à se priver de moyens importants pour réaliser cette politique.
Et l’UDC?
Y-a-t-il encore quelques patriotes dans ce parti et dans la droite de ce pays? C’est la question que pose ce dossier. M. Blocher ne raisonne plus comme un industriel, mais comme un rentier, ses critiques contre l’action de la Banque nationale le montrent. Dès lors l’UDC finit toujours par défendre les intérêts du secteur financier. Et le secteur financier n’a rien à faire des intérêts énergétiques des Suisses. Il est également prêt à les brader pour obtenir d’autres avantages sur le marché européen. En 2002, tous les parlementaires UDC étaient contre nous. Au moment du vote populaire, c’est la base du parti qui nous a soutenus.
Vous pensez que l’arrêté actuellement en consultation pourrait déjà être rejeté parle Parlement, avant qu’il soit question de référendum?
Un sursaut de lucidité est toujours possible.
Interview:
Christian Affolter
François Schaller

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